Feutre Rouge, Feutre Bleu

23 septembre 2014

Feutre Rouge, Feutre Bleu

-Ouvrez vos petits cahiers rouges, mes amis !

Elle portait sa robe rosâtre comme à l’accoutumée. Elle se dressait devant nous en attendant que chacun sorte son petit cahier de son cartable. Elle nous scrutait tous, d’un beau sourire illuminant son visage. Quand mon copain Samer avait posé son cahier rouge devant lui, elle eut une énergie qui la poussa à commencer sa leçon. Je connaissais par cœur que le cahier rouge était fait pour les exercices de dictées, de grammaire ou de phraséologie. Je la regardais en attendant qu’elle prononce un mot ou qu’elle nous dise quel exercice allons-nous faire.

Elle mit sa main dans sa poche et leva une craie. Elle nous tourna le dos et écrit au milieu du tableau : « Phraséologie »puis souligna au-dessous. Ce type d’exercice était mon préféré. Une joie secrète et profonde remplit mon cœur. Ensuite, elle descendit un peu et dessina une première étoile à gauche du tableau. Elle écrivit le mot « pittoresque ». Puis elle laissa un peu d’espace et écrivit une expression : « grande étendue verte ».

-J’attends que chacun de vous écrive une phrase en utilisant ce que j’avais écrit au tableau, puis qu’il dise sa phrase à haute voix.
Je regardais mes amis. Leurs yeux étaient fixes sur ses gestes, sur son sourire. Chacun pensait à une phrase, a une idée. A mon tour, je baissai ma tête vers le cahier. Pendant plusieurs secondes, je songeai à une belle phrase riche en vocabulaire. Je songeai… La voilà !

-Allez Karim, lis-nous ta phrase !
-J’ai regardé le grande étendue verte devant moi.
-C’est bon ! Mais on dit « la » grande étendue non pas « le » ! Corrige s’il te plait.
-Oui, Chadi ?
-La nature est magnifique et pittoresque.
-Bravo Chadi. On va rédiger ça au tableau !

Elle entendit à plusieurs reprises les phrases de mes copains. Ma main était levée depuis plusieurs minutes. Mais elle ne me choisissait pas. Elle demandait à chacun qui levait sa main de lire. J’avais encore de l’espoir, comme chaque jour. Elle lui corrigeait ses fautes sans me jeter le moindre coup d’œil. J’attendais. Elle scruta du regard tous mes camarades. Personne. Il ne lui resterait que moi !
-La grande étendue verte s’offrait à ma vue pareille a un tableau féerique.

Elle me regardait. Je lui souriais en attendait qu’elle dise quelque chose, qu’elle me corrige une faute. Quand je me tus, un doux sourire éclaira sa mine. Je connaissais le sens de ce sourire. Elle voudrait dire quelque chose mais elle ne pouvait pas. Plus tard, elle protesta :
-C’est Bien Riad, tout en souriant.

Elle tourna le dos, et écrivit devant le premier mot la phrase de Chadi. Puis elle rédigea tout de suite ma phrase devant la seconde expression. Je me sentis tellement fier.
Tous mes amis recopiaient les deux phrases silencieusement. Elle avait en elle une sorte de magie. On dirait une potion magique qu’elle jetait sur nous pour nous calmer, pour nous réjouir lors de sa période. Une fois achevée, elle circulait entre nous. Elle passait entre les deux premières rangées pour s’assurer que tout le monde recopie. Elle circulait de nouveau près de ma rangée. Je pouvais entendre ces pas qui s’approchaient de moi. Je savais vraiment ce qu’elle voudrait me dire.
-Qu’est-ce que t’as fait ta maman pour manger ?
Je riais mais je ne pouvais lui répondre qu’à voix basse. Chaque jeudi, elle me posait la même question. Sans doute, elle était venue à l’école sans avoir le temps de prendre son petit déjeuner ou qu’elle avait encore faim.
-Une tartine de thym.
-Ben, je vais croquer la moitié, me murmura-t-elle.
J’abandonnai mon stylo à bille et je me baissai vers mon cartable. J’ouvris la poche de devant où maman m’avait rangé le matin la tartine avec un chocolat. Je la lui tendis. A son tour, elle ouvrit l’emballage et divisa la tartine en deux. Elle me fit un clin d’œil en me tendant l’autre moitié. Je lui souriais.

La cloche sonna brusquement. Personne ne se leva. Elle nous regardait de nouveau pour se rendre compte que ses élevés ont terminé. On connaissait par cœur qu’aujourd’hui, on avait deux périodes successives de français. J’aimais bien cette journée. Mais j’ignorais la cause. Peut-être parce-que j’aimais bien le français, peut-être qu’elle m’attirait vers cette langue ou peut-être qu’elle était ma cousine.
Je me souviens très bien mon enfance. Elle était toujours à mes cotes. Elle m’offrait souvent des livres, des contes. Elle m’avait appris par cœur l’aventure délicieuse de Hansel et Gretel ou l’histoire des habits neufs de l’empereur ou encore celle du vilain petit canard. Elle aidait souvent ma maman à rédiger mon journal d’enfance. Ses traces demeuraient sur les pages de « ma première sortie », « mon premier mot »…

Quelques minutes plus tard, elle commençait à effacer le tableau puis se tourna vers nous.
-Nous allons essayer de décrire un paysage. J’attends que tout le monde participe. D’accord mes amis ?

Elle écrivit au milieu du tableau “ Coucher du soleil” puis elle rédigea le sujet. Ensuite pour mieux nous éclaircir les idées, elle essaya de nous dessiner le paysage pareil à un tableau de peinture qu’on devrait décrire. D’un tour de main, elle dessina avec la craie l’horizon puis le rivage. Ensuite, elle dressa un demi-cercle avec des rayons qui l’entourent. Elle imagina quelques flots au sein de la mer puis des coquillages sur le sable. Elle essaya de son mieux de bien apparaitre ses figures même si elle n’était pas douée pour ce genre d’art. Dès qu’elle termina son paysage, elle commença à annoter son schéma et nous demanda de donner un adjectif à chaque élément de ce tableau. Elle écoutait nos idées, nos phrases et nos fautes. A mon tour, j’essayais de lui donner des phrases riches pour qu’elle les note au tableau. D’un beau sourire, elle ne décourageait personne mais elle essayait de lui corriger son idée. Elle avait à elle une manière douce et tendre.
C’était le temps de rédiger le passage qu’elle appelait « commun ». Elle essayait avec tant d’efforts de réunir toutes nos idées en un paragraphe simple mais riche. Comme par magie, elle tenait à la main deux craies : l’une rose qui signifiait le rouge pour nous, ce dernier étant illisible sur le tableau à fond vert, l’autre blanc qui signifiait le bleu. Elle écrivait tantôt avec le rose tantôt avec le blanc. Pour elle, les expressions en rose étaient importantes et à étudier.
Tous mes camarades en sixième tenaient deux feutres à la main : un stylo bleu et un feutre rouge. Ils la poursuivaient mot à mot, pas à pas dans un silence parfait. On aimait tous ses périodes, on l’admirait.
Elle donnait de tout son cœur, elle était proche de nous. On dirait une amie ou même une grande sœur. Mais pour moi, elle était autre chose. Elle était ma cousine, mon coffre à secrets mais aussi ma seconde mère à laquelle je ne cesserai de demander le conseil.

Mon téléphone vibra brusquement en me retirant de mon filet de souvenirs qui traversait ma pensée. Je cliquai sur le bouton du milieu et touchai la barre des notifications. J’avais reçu un nouveau mail. Je cliquai de nouveau.

J’ai beaucoup aimé les deux histoires. N’arrête pas de m’écrire et de m’envoyer. Attention aux temps verbaux. Courage. Bisous.

C’était elle !
Un sourire se dessina sur mes lèvres. J’étais vraiment ravi. Ses quelques mots m’encourageaient vraiment. Mon style d’écriture était sans aucun doute influencé par le sien. Ses expressions qu’elle notait en rouge se révèlent jusqu’aujourd’hui dans mes textes. Elle avait laissé une trace partout dans ma vie surtout dans ma rédaction. On dirait que ses mots, son vocabulaire étaient gravés non seulement dans ma pensée mais dans mon esprit.

Je branchai mon téléphone au chargeur puis je repris mes leçons. Installé sur mon bureau de chambre, j’ouvris mon cahier. Un crayon rouge dans la main gauche, un autre bleu dans la main droite, je poursuivis la copie de mes cours universitaires.

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Commentaires

rima moubayed
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Je suis touchée. Tes mots me vont droit au coeur. Ces instants volés au passé et qui frôlent si habilement le présent sont intacts. Je te félicite, mon cher, de tout coeur.

riadmw
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Ted mots rendent vraiment fier et fidèle. Merci ramroum.

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Merci pour ces supers conseils !!!